Interview de Pierre Radanne. « Nous avons importé en Afrique un urbanisme inadapté »
Journal le Monde, 11/12/13
Propos recueillis par Sophie Landrin
Pierre Radanne, ancien président de l’Ademe, est rédacteur du futur plan climat de Dakar.
Propos recueillis par Sophie Landrin
Pierre Radanne, ancien président de l’Ademe, est rédacteur du futur plan climat de Dakar.
La colonisation serait selon vous
responsable de la vulnérabilité des villes africaines, pourquoi ?
Les pays africains avaient des modes de
construction traditionnels adaptés à leur climat. En zone humide, des cases
bien ventilées pour faire de la fraîcheur ; en zone chaude et sèche, au sud du
Sahara, des murs en terre très épais avec de petites ouvertures pour empêcher
la chaleur d’entrer.
Au début de la colonisation, les Européens
ont réalisé des constructions respectueuses de ces traditions, mais, à partir
de la seconde guerre mondiale, ce modèle a explosé. Il a fallu bâtir des
logements pour le plus grand nombre, le plus vite possible.
L’Afrique est entrée dans l’ère de la
construction industrialisée et la colonisation a eu un effet très pervers : on
a transposé en Afrique l’urbanisme des pays tempérés, totalement inadapté. On a
produit les mêmes logements sociaux qu’en France, des HLM sans isolation, sans
protection contre le soleil. On a livré des bureaux en verre et acier,
invivables.
Avec quels effets sur la consommation
d’énergie ?
Pour combler ces conditions d’inconfort
catastrophiques, les urbains ont eu recours massivement à la climatisation.
Mais les compagnies électriques ont été incapables de gérer cet appel de
puissance. Elles se sont endettées, car les consommateurs étaient insolvables.
Déficitaires, elles n’ont pu progresser dans leur programme d’électrification
du pays.
Cet urbanisme n’a pas empêché les
bidonvilles de prospérer ?
Au Sénégal, qui n’est pourtant pas le pays
le plus pauvre, 83 % de la construction est informelle. La croissance de la
population urbaine va plus vite que les programmes de logements. Donc les
nouveaux arrivants investissent des zones délaissées, car inondables,
dangereuses, en bord de mer.
Comment construire pour le plus grand
nombre tout en s’adaptant au changement climatique ?
Il faut d’abord faire reculer les
constructions côtières, améliorer la gestion des sols, les canalisations,
utiliser des matériaux traditionnels comme la terre, résistante à la chaleur.
Cela réduira d’autant les besoins d’importation de matériaux et fera travailler
l’économie locale. Et limitera les besoins de climatisation, et donc assainira
les comptes des compagnies électriques. Si elles retrouvent progressivement une
clientèle solvable, elles pourront investir dans des énergies renouvelables et
s’affranchir des énergies fossiles.
Les pays les plus pauvres ont l’électricité
la plus chère. Il faut aussi s’attaquer à la pauvreté rurale, premier moteur de
l’immigration vers les villes et l’étranger, en reboisant, pour freiner
l’avancée du désert et protéger les récoltes.
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